vendredi 28 novembre 2008

Gauchère

Avec les travaux, les wagons du train 8758 s’étaient décalés sur le quai, bousculant mes habitudes et agglutinant les navetteurs devant les portes des deux premiers wagons.
Louvoyant rapidement dans le flot des voyageurs à l’assaut des portes qui s’ouvraient, je passais à l’arrière du train pour trouver, je l’espérais une place assise. En entrant rapidement dans le dernier wagon, déjà bien occupé, je m’installais contrairement aux autres jours sur une petite banquette, le long de la vitre, laissant mon coté gauche libre.
Une jeune dame vient s’installer immédiatement auprès moi coté couloir, me poussant par sa présence, sans confort et espace contre la vitre.

Cinq minutes plus tard, bravant les usages des omnibus remplis de voyageurs taiseux et distants, elle m’interrogea sur la nature de la revue que je venais d’ouvrir et qu’elle ne connaissait pas.
Un bout de conversation débuta puis chacun vaqua à ses occupations. Je me plongeais dans un livre.
Nos corps se frôlaient vu l’exiguïté de la banquette, de temps à autres les secousses dues à la voie, nous poussaient légèrement l’un vers l’autre, dans un affleurement agréable et distrayant.
Alors que je me plongeais dans un nouveau chapitre, elle pris son bic et sorti un calepin, pour prendre des notes avec sa main gauche. Elle n’aurait pu faire l’opération à droite, tant l’espace était confiné. Gauchère, elle pouvait prendre ses notes aisément.

Une pensée bâtie sur une sensation, jaillit des profondeurs de ma conscience.
Le report de sa maîtrise de la main droite sur la main gauche, était causée par la présence de son compagnon à droite, comme si les contraintes d’espace de l’ensemble formé par les deux, s’étaient superposées à celle d’un solitaire.
L’ensemble avait perdu sa partie droite et l’énergie de développement avait fixé à gauche les fonctions habituelles, du moins en ce qui concernait la maîtrise de l’écriture.
Elle était gauchère, car son côté droit était surtout et toujours en souffrance de l’absence de l’autre.

Cette pensée fugace envisageable dans une situation passée, s’éloigna m’entraînant dans un état serein, jadis ressenti.
Aurait-elle questionné un autre que moi de cette manière. Peut-être.
Etait-ce sa manière de vivre, sa quête vers le retour aux anciennes sensations, sans cesse faite dans un autre temps et un autre lieu et dont aujourd’hui, j’étais la cible et le témoin.

samedi 15 novembre 2008

Nirvana


Assis cote à cote, derrière le bureau pour une cession de travail, nous avions échangé au-delà de la matière à transmettre jusqu’au moment où un mouvement involontaire rapprochant nos pieds,  avait ouvert un espace nouveau.
Elle me dit ; « Le mouvement de la jambe qui s’éloigne d’un voisin, signifie un éloignement,une protection, une fuite. »
Les confidences, à propos de l’hospitalisation de son père, son état de stress et de tétanie de son coté gauche, venaient de passer du registre pénible vers un ton de légèreté, de joie profonde, envahissante.
Par ce décodage d’un mouvement spontané de la jambe et du pied, elle me donnait un élément de compréhension d’un moment magique vécu l’année précédente, sur le train au voisinage à ma gauche, d’une femme inconnue qui en effet portait son pied vers moi.
Ce moment décrit, elle proposa de son coté, le même type de rencontre, la même impression de joie envahissante, profonde,hors catégories habituelles qui envahi comme un tsunami. Cela lui était arrivé trois fois.

Le moment présent semblait autant chez elle que chez moi, se nourrir d’une expérience passée pour la ramener dans l’instant, en compensation sans doute de l’échange des sentiments douloureux à propos de son père.

Nous vivions elle et moi, joyeux de ces souvenirs comme si notre proximité, notre interaction correspondait à un moment avant un détachement pénible, comme si elle et moi avions retrouvé ce moment de proximité joyeuse, comme avant le drame de la séparation d’avec notre double.

Nous étions deux survivants que les circonstances avaient rapprochés le temps d’une session de travail. Par ma présence à sa gauche, j’occupais son coté de souffrance, celui de ses maux de têtes, de ses otites, de la tétanie qui la faisait souffrir maintenant et l’effaçait de ses maux.
J’étais représentant de son jumeau, elle représentait ma jumelle.
Le temps nous avait rendu, la sensation et l’humeur d’une parenthèse de gémellité..

vendredi 7 novembre 2008

Kooi


La force du symbole était là dans toute sa vigueur,à mes yeux du moins. L'artiste avait par son imagination fertile et féconde, apporté l'allégorie nécessaire et suffisante pour remettre en scène l'indicible.
Comme le code de décryptage d'un message codé,permet de pénétrer au coeur de celui-ci, ma connaissance passée m'en avait donné l'accès.
L'essentiel y était dit, dans une allégorie de toute beauté. "L'apprivoisement d'un koï volant par une main".

Subtilité de l'art qui permet toutes les explorations, toutes les hypothèses et qui touche le tréfonds de l'âme.

Pour lui faire hommage indirectement car que savait-elle de cette quête qui portait aussi son art!.
J'avais tenté de symboliser dans mon environnement le dessin aperçu sur le blog et cherché à plusieurs reprises une place adéquate pour la photographie du gros poisson de bois rouge,genre kooi dont le deuxième exemplaire restait à la maison,
le premier étant chez ma plus jeune, elle aussi du signe poisson.

L'image était comme là enfin et curieusement comme un avorton sur un ventre de femme enceinte,d'un jumeau esseulé.