« C'est une folie de haïr toutes les roses parce que une épine vous a piqué » était la première phrase de l'annexe de son
mail. S'y ajoutait une référence à ma fille disparue quelques mois plus tôt.
Ces deux éléments avaient créé en moi l'envie
d'en savoir plus, de décoder le sens qu'il pouvait y avoir dans son message
très particulier. Comme elle était membre d'un cercle de chants sacrés, je me
sentais en terrain connu et j'avais dit « Oui » à sa proposition de rencontre
autour d'une tasse de thé chez elle. Son invitation était personnelle vu la
limite de ses heures de liberté. C'était à l'heure où le marchand de sable
passait chez ses enfants, juste avant leur coucher. Moment singulier bien
différent d'une rencontre à la taverne ou au restaurant.
Intrigué et méfiant, hésitant, je m'étais
retrouvé sur le palier alors qu'elle organisait les mises au lit de -ses petits
monstres- comme elle disait. C'était comme si une longue amitié nous reliait, ce qui
était loin d'être le cas, mais elle savait s'y prendre face à mes résistances.
Puis autour du thé, nous avons échangé presque
plus sur son vécu que sur mien. Le lien à ma fille était très ténu.
Une étrange atmosphère s'était mise en place,
faite d'une grande confiance, d'une grande simplicité, d'un naturel atteint
seulement après une longue fréquentation.
Elle m'annonça alors sa découverte, lors d'une
session de constellations familiales, d'appartenir au monde des jumeaux
survivants. Sa sœur s'était évanouie durant la gestation
semblait-t-il.
Cette situation ne m'était pas inconnue et dès
cet instant, je jetais un regard autre sur le dessin de son rideau de living. Un
motif récurent de coquelicot large comme la paume d'une main avoisinait un point rouge
; dualité, projetée inconsciemment, exprimant que l'une était arrivée à maturité, l'autre pas.
Enfin sur le mur un autre motif de coquelicots,
accompagné cette fois de quelques dessins de papillons représentant l'éphémère,
l'évanescence de son alter ego utérin. Oui, elle est une jumelle survivante. Cela
ne faisait pour moi, pas l'ombre d'un doute.
Ne fallait-il pas ranger là aussi son phantasme
d'aller nager avec les dauphins, essai de retour à cet univers utérin dont elle
avait la mémoire.
S'y ajoutait à présent les sensations perçues
depuis le moment où j'avais accepté son invitation. Elle avait constellé un
champ morphique connu, l'avait ravivé.
Pour moi ma fille en faisait aussi partie, de ces jumeaux esseulés, à
cause de son dessin d'enfant représentant si fort une dualité, à cause des deux
tournesols qui s'affichaient dans son hall d'entrée, du choix du prénom de son
fils aîné qui signifie jumeau. Mais, ma fille avait rejeté l'hypothèse que je lui
avais proposée car trop marquée par sa profession d'infirmière. Adepte d'une
réalité différente ou le concret seul compte, elle ne pouvait être sensible à
cet univers mystérieux.
Comme dans le passé j'avais entendu et perçu le champ morphique
d'une nouvelle messagère.